Kerviel : quatre ans ferme pour bovarysme

Kerviel : quatre ans ferme pour bovarysme: "

   Un nouveau délit est né : le bovarysme. Du moins dans sa variante financière. On ne le trouve pas dans nos Dalloz. Pas encore. Plutôt du côté du blog des prêtoires de Pascale Robert-Diard, très exactement dans le compte-rendu du procès de Jérôme Kerviel. Hier, à l’heure des réquisitoires, les deux représentants du parquet ont réclamé cinq ans d’emprisonnement dont quatre ans ferme contre l’ancien trader de la Société générale. Or, au moment d’expliquer son comportement, le procureur, qui ne s’appelait Ernest Pinard mais Philippe Bourion, et qui avait jusqu’alors agité des métaphores plus guerrières que littéraires, a avancé l’hypothèse suivante :


“« … une variante financière du bovarysme, qui consiste à se voir autrement que l’on est, à se donner des sensations fortes”.


                                                      bourse-de-londres-1955.1277450535.jpg  Voilà une notion intéressante (en lieu et place d’un débat sur les contrôles des risques au sein d’une banque). Flaubert n’imaginait peut-être pas qu’en étendant ainsi son registre, le bovarysme pouvait entraîner un traumatisme planétaire et la perte de près de cinq milliards d’euros à la Socgen. Quatre ans de taule pour bovarysme aigu ! Même le cher volcan n’y avait pas pensé. Rappelons que cet état d’âme a été effectivement défini comme “la capacité qu’a l’être humain de se concevoir et de se vouloir autre qu’il n’est” par Jules de Gaultier dans Le bovarysme (Presses universitaires de Paris-Sorbonne, 2006). Ce “délire du coeur”, qui consiste à s’envivrer en rêvant à un avenir radieux mais fantasmé, avait été esquissé par Flaubert dans Passion et vertu, Novembre ainsi que dans la première Education sentimentale (”Il souffrait toujours de quelque chose qui lui manquait ; il attendait sans cesse je ne sais quoi qui n’arrivait jamais”) avant de devenir si central dans Madame Bovary que cela le ferait bientôt accéder au rang de concept et consacrer en néologisme :


“Mais, en écrivant, elle percevait un autre homme, un fantôme fait de ses plus ardents souvenirs, de ses lectures les plus belles, de ses convoitises les plus fortes; et il devenait à la fin si véritable, et accessible, qu’elle en palpitait émerveillée, sans pouvoir le nettement imaginer, tant il se perdait, comme un dieu, sous l’abondance de ses attributs. Il habitait la contrée bleuâtre où les échelles de soie se balancent à des balcons, sous le souffle des fleurs, dans la clarté de la lune. Elle le sentait près d’elle, il allait venir et l’enlever tout entière dans un baiser. Ensuite, elle retombait à plat, brisée; car ces élans d’amour vague la fatiguaient plus que de grandes débauches.” (III, 6)


   N’allez pas croire que j’ai trouvé cela tout seul. J’ai puisé dans l’indispensable Dictionnaire Flaubert(780 pages, 39 euros, CNRS éditions) de Jean-Benoît Guinot, somme pratique et complète tout récemment parue, à laquelle il ne manque désormais que la dimension financière du bovarysme. S’ils veulent suivre, les chroniqueurs judiciaires sont priés d’apporter leur vieil exemplaire du roman aux prochaines audiences.


(”Bourse de Londres, 1955″ photo Henri Cartier-Bresson)

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